LA SAINTE FAMILLE
Ecclésiastique
3, 2-6.12-14
Colossiens 3, 12-21
Luc 2, 41-52
La vie de Jésus dans une famille humaine
prolonge le mystère de l’incarnation. Dieu a voulu assumer et sanctifier le
mystère de la famille, appelée à être un espace d’amour et de liberté ; de
communion et d’expérience de Dieu. La fête de la sainte famille de Nazareth est
une opportunité pour édifier la vie de nos propres familles à la lumière de la
Parole de Dieu. Au milieu d’un monde très souvent dominé par la haine et la
division, la famille se présente comme un signe d’amour. Cependant, elle est
aussi une réalité fragile, immergée dans une société dont les vraies valeurs
sont souvent désorientées et elle est très souvent victime des drames
économiques et sociaux. La première lectures et l’évangile font surtout
référence à la relation d’amour et de respect entre parents et fils ;
quant à la seconde lecture, elle se veut une page d’éthique chrétienne,
laquelle illumine la vie du couple et le monde des relations familiales.
La première
lecture (Siracide 3, 2-6.12-14) est
tirée du livre de l’ecclésiaste, nommé justement ainsi à cause de son fréquent
emploi comme référence dans les assemblées liturgiques (en grec « ekklèsiai ») des premiers siècles de l’Eglise.
Son auteur est un certain Jésus Ben Sira, d’où provient l’autre nom qui
s’attribue au livre : Sagesse de
Ben Sira ou Siracide. Ce livre est le meilleurs exemples de la littérature
sapientiale juive, et est presque une synthèse de toute la théologie juive en
dialogue avec la nouvelle société, plus ouverte aux valeurs laïques. Jusqu’en
1896, seules les versions grecque, syriaque et latine de l’œuvre était connues.
Mais entre cette date et 1900, l’on découvrit, au Caire (en Egypte) certaines
copies médiévales de l’originale hébreux du livre. Des découvertes postérieures
nous ont permis de connaître les deux tiers de l’ecclésiastique en hébreux,
répartis en cinq manuscrits.
Le texte que nous lisons aujourd’hui est un commentaire du quatrième commandement : « Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne Yahvé ton Dieu » (Ex 20, 12). Pour Jésus Ben Sira, l’amour et le respect envers les parents font parties des vertus fondamentales de la sagesse. Le verbe central de tout le texte est le verbe « honorer », présent dans le décalogue, lequel indique l’amour, l’aide concrète et le respect ; la récompense en contre partie est la bénédiction divine. Mais il est important de comprendre qu’à la racine du quatrième commandement se trouve le concept de parent comme premiers transmetteurs des plus grandes valeurs de l’humanité et de la religiosité à l’intérieur de la tradition juive. Les parents sont appelés – par leur exemple et leurs conseils – à introduire leurs fils à l’intérieur du courant des bénédictions de la religion de Yahvé. Voilà donc la première raison pour laquelle le fils israélite « honore » ses parents. Autrement dit, les parents obtiennent l’honneur de leurs fils en étant des sacrements vivants de l’amour de Dieu, transmetteurs de la bénédiction et maîtres de sagesse. Voilà pourquoi « honorer » les parents est, au font, « honorer » Dieu lui-même et accepter par leur intermédiaire la bénédiction et la sagesse qui proviennent du Très-Haut. Le fait d’honorer le père et la mère suppose l’affection et l’aide, le respect et l’amour envers les propres pro géniteurs, même au crépuscule de la vie, durant la vieillesse, quand les énergies biologiques et intellectuelles diminuent. Le père et la mère seront toujours un signe vivant de l’amour et la vie de Dieu dans le monde.
La seconde
lecture (Colossiens 3, 12-21) nous
offre un classique code d’éthique, conditionné certainement par certaines
valeurs culturelles de l’époque, ainsi qu’on peut le constater à travers
l’acceptation de l’esclavage (3, 22) ou encore l’affirmation de la soumission
des femmes à leurs maris (3, 18). Reporter donc mécaniquement certaines des ses
indications à l’ordre social d’aujourd'hui serait un anachronisme et une
erreur. Cependant, le texte nous offre une morale chrétienne toujours valable,
laquelle peut illuminer les relations fraternelles dans la foi (3, 12-17) et
toute la vie familiale (3, 18-21). Cette éthique peut se résumer avec
l’affirmation du v. 13 : « Le
Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour ». Le fondement de
toute l’existence chrétienne doit toujours être l’amour et le pardon inspirés
de Jésus. C’est ce que le texte appelle « la paix du Christ » (v.
15), laquelle doit toujours guider le cœur, c’est-à-dire, le centre plus
profond des motivations et des sentiments du croyant. Il est donc nécessaire
que « la parole du Christ réside chez vous en abondance »(v.16).
Seuls l’écoute, la méditation orante et la célébration de la Parole
correspondent à la conduite du chrétien et lui permettent de rejoindre l’idéal
éthique que le texte résume ainsi : « quoi que vous puissiez dire ou
faire, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, rendant par lui grâce au
Dieu Père ! » (v. 17). Dans le domaine familial (3, 18-21), les
exigences éthiques sont les mêmes. A la lumière de la foi en Christ, les époux
croyants s’aiment intensément et vivent une profonde relation d’affection et de
communion, basée sur le dialogue et le respect mutuel (3, 18-19) ; les
fils, quant à eux, sont invités à vivre la valeur de l’obéissance « dans
le Seigneur » à travers l’écoute et la docilité à la voix des parents
(3,20), pendant que les parents devront respecter et accompagner le mystère
personnel que chaque enfant porte en soi (3,21).
L’évangile (Luc 2, 41-52)
nous présente le fameux épisode de Jésus perdu et retrouvé dans le Temple à
l’âge de douze ans. Ce récit est une magnifique réflexion théologique sur le
mystère de Jésus. C’est la première fois que, dans l’évangile de Luc, le jeune
Jésus manifeste la propre personnalité théologique sous deux aspects : sa
sagesse extraordinaire et précoce, et sa relation filiale particulière avec le
Père du ciel. Dans ce texte, il faudrait éviter l’interprétation psychologique
qui voit dans le drame narré, dans la préoccupation de la Mère et dans la
réponse de Jésus une anticipation de la
crise générationnelle de la famille moderne. Il ne s’agit pas d’un récit
biographique, ni d’une légende, mais il est question d’une narration
« théologique » centrée sur la première parole que nous écoutons de
Jésus dans l’évangile, une parole qui révèle la relation spéciale qu’il a avec Dieu et son obéissance filiale
au Père.
Luc ne s’arrête pas aux détails narratifs
( la disparition de l’Enfant, les trois jours de recherche etc.). Ce ne sont là
que des artifices littéraires au service du message religieux du texte. Le
centre d’intérêt de la narration commence au v. 46, où Jésus est retrouvé
« dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les
interrogeant », selon le style de « question-réponse » qui était
propre de l’enseignement dans le judaïsme. Jésus apparaît comme une personne
assidue et intéressée aux affaires de Dieu. Dans le v. 47, l’optique narrative
change. Ici, non seulement Jésus écoute mais aussi, comme un maître, il expose
et répond « et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son
intelligence et de ses réponses ». Luc voit dans cette scène une
anticipation du ministère futur de Jésus, quand son enseignement « avec
autorité » causeront la stupéfaction dans la foule (Lc 4, 32).
Le dialogue entre le jeune Jésus et Marie
sa mère est d’une grande profondeur théologique. Il convient d’éviter une
explication de l’angoisse et la successive « réprimande » de Marie et
de Joseph à partir d’un point de vue psychologique. « L’incompréhension »
de Marie et de Joseph représentent la réaction naturelle de qui se trouve
devant un fait inattendu et incompréhensible à l’homme. La foi de Marie et
Joseph, comme la foi de tout croyant authentique, est toujours dépassée par les
réalités insondables du mystère de Dieu. Il suffit de se rappeler de ce que
Jésus dira plus tard : « nul ne sait qui est le Fils si ce n’est le
Père » (Lc 10, 22). Dans la réprimande de Marie (v. 48) l’on peut
suspecter l’angoisse normal des parents devant la disparition de leur fils.
Mais la réponse de Jésus (v. 49a : « pourquoi donc me
cherchez-vous ? ») oblige ses parents (et les lecteurs de l’évangile)
à dépasser le problème des relations sanguines, pour ainsi entrer dans la
logique du mystère et des chemins de Dieu.
La phrase centrale de tout le récit est
prononcée par Jésus au v. 49b : « Ne saviez-vous pas que je dois être
dans la maison de mon Père ? » (ou selon une autre possibilité de
traduction du texte grec : Ne saviez-vous pas que je doive m’occuper des
affaires de mon Père ? »). La première option, qui parle de la
« maison de mon Père » est préférable car elle souligne la proximité
entre Jésus et Dieu. Le temple était, en effet, l’espace de la présence de Dieu
et le lieu où s’enseignait la Parole de Dieu. Selon Luc, la sagesse de Jésus au
milieu des docteurs et son enseignement admirable trouvent leur fondement dans
leur origine divine, dans sa relation particulière avec Dieu. La scène se
conclut avec l’incompréhension des parents de Jésus (v. 50). Ce fait a une fonction
littéraire, plus qu’historique. C’est une invitation à la méditation et à
l’acceptation, dans la foi, du mystère de Jésus de Nazareth que la scène du
Temple a laissé entrevoir.
À douze ans – âge à laquelle tout, selon
la loi juive, tout jeune hébreux
acquière la responsabilité devant la loi et la religion (au moment de la
bar-mitzvah, ce qui signifie : « fils du
précepte »), Jésus révèle son authentique réalité de Maître et de Fils,
prenant les distances devant la réalité limitée et quotidienne de sa condition
humaine. C’est la première révélation que Jésus fait de sa personne et de son
destin ; face à cela, le croyant authentique, comme Marie sa mère, même
sans tout comprendre, « garde fidèlement toutes ces choses dans son
cœur » et les méditent (Lc 2,51, Lc 2, 19). Marie comprend que pour elle
aussi commence le fastidieux chemin de la foi. Une foi qui lui fera découvrir
le mystère caché en son jeune fils et qui lui fera progressivement perdre ce
fils comme possession, pour le recevoir comme don salvateur de Dieu au pieds de
la croix.
L’expérience de Marie est celle de
chaque parent, qui doit admettre pour son fils un projet qui ne lui appartient
pas ; un projet neuf et libre d’une personne distincte, que l’on ne peut
totalement posséder et à laquelle les parents ne peuvent imposer un projet
préétabli. Mais l’expérience de Marie est surtout celle du croyant qui sait
rencontrer Jésus « dans la maison du Père », c’est-à-dire, comme
sacrement de la sagesse et de la présence de Dieu parmi nous. C’est une expérience
que chaque famille est invitée à vivre, en se convertissant en petite
« église domestique », où chaque fils, éduqué dans la foi et les
grandes valeurs de la solidarité humaine, puisse croître « en sagesse, en
taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,52), à l’image
de l’adolescent Jésus de Nazareth.