SEPTIÈME DIMANCHE
(Cycle
C)
1 Corinthiens 15,45-49
Luc 6,27-38
La liturgie de ce dimanche proclame le dit
« discours de la plaine » de l’évangile de Luc (cf. Lc 6,17),
dans lequel Jésus condense les principes fondamentaux et les valeurs
essentielles de la vie du chrétien. Il s’agit d’un véritable chant à l’amour et
au pardon sans limites, selon l’image du Père qui est « bon pour les
ingrats et les méchants » (Lc 6,35). Ce n’est qu’en assumant
personnellement le comportement miséricordieux de Dieu que l’on parviendrait à
recréer une humanité nouvelle. L’amour du disciple de Jésus est une tâche et
une action qui va au-delà d’un simple sentiment, dès lors il devient possible
de l’étendre jusqu’à ceux qui, apparemment, ne méritent pas cet amour.
La première
lecture (1 Sam 26,2. 7-9. 12-13. 22-23)
met en évidence – à travers un récit du premier livre de Samuel – la valeur
d’un pardon courageux et généreux, vu comme conquête de la liberté de l’esprit
humain et comme reflet de Dieu lui-même, chez qui l’amour va au-delà de la
justice. Le contexte ici est celui du fameux épisode du désert de Ziph, où
David, bien qu’ayant la possibilité de finir avec son adversaire, préféra le
chemin du pardon. Le jeune pasteur, David, était au service du roi Saül, mais
il y avait un certain temps que celui-ci était persécuté par le même roi. Le
roi éprouvait de la jalousie pour le jeune pasteur qui devenait trop populaire
auprès du peuple. Etant donc expulsé du royaume, David devait désormais vivre comme
un fugitif et un nomade dans des lieux inhabités. C’est pourquoi « s’étant
mis en route, Saül descendit au désert de Ziph, accompagné de trois mille
hommes, l’élite d’Israël, pour traquer David dans le désert de Ziph » (v.
2). Pendant que le roi dormait, David et Abishaï, son aide de camp,
s’infiltrèrent dans la troupe. C’est le moment de la vengeance, et Abishaï
conseille à David : « aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi en ta
main » (v. 8). Toutefois David se montre extrêmement magnanime, il
respecte la vie du roi et lui pardonne tout. Il se contente de tout remettre
entre les mains de Dieu, et à la fin du récit il s’écrie depuis l’autre versant
de la montagne : « Yahvé rendra à chacun selon sa justice et sa
fidélité : aujourd’hui Yahvé t’avait livré entre mes mains et je n’ai pas
voulu porter la main contre l’oint de Yahvé » (v. 23). Avant d’être
roi-pasteur de son peuple, David devint ainsi un modèle de miséricorde et de
clémence pour tout hébreux.
La deuxième lecture (1 Cor 15,45-49) nous offre une relecture allégorique que saint Paul fait sur Gn 2-3, à la lumière du complexe argument des « deux Adams), qui existait déjà dans la théologie Judéo-hellénistique, en l’occurrence, chez Philon d’Alexandrie. Laissant de côté la ramification spéculative assez complexe sur le thème, nous voulons seulement rappeler l’essentiel du message paulinien. Selon l’apôtre la vie du chrétien se caractérise par deux phases : une terrestre, « animale, naturelle, corruptible » ; une autre, « spirituelle, céleste, incorruptible ». Tous nous naissons comme l’Adam parfait, Christ, et nous entrons avec lui dans la gloire. Adam en effet fut créé « être vivant » (Gn 2,7), seul le Christ est « l’esprit qui donne la vie ».
L’évangile (Lc 6,27-38) est construit sur deux principes fondamentaux de la vie : « ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux pareillement » (v. 31) et « montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant » (v. 36).
Le premier principe : « ce
que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux
pareillement » (v. 31) constitue la « règle d’or » de la
communauté humaine, sur laquelle se fondent les relations humaines justes.
C’est un principe qui existait déjà dans la tradition juive et dans bien
d’autres courants philosophiques et éthiques. La nouveauté de l’évangile est
que Jésus étend ce principe jusqu’à l’infini, exigeant ainsi à son disciple non
seulement de ne pas faire le mal, mais aussi il devra rechercher le bien pour
les autres comme il aimerait que l’on fasse envers lui. La plus grande
expression de ce « bien traiter » les autres se manifeste à travers
l’amour pour les ennemis. Cela est rendu encore plus concret à travers l’amour
à l’égard de l’adversaire personnel qui, dans des situations quotidiennes, agit
de façon malhonnête et injuste ;
il es est de même pour le respect et la tolérance envers une personne
qui est différente de moi et m’apparaît comme antagonique et hostile à cause de
sa façon de penser et d’agir. L’exhortation de Jésus « aimez vos ennemis »
trouve sa forme concrète dans « faites du bien à ceux qui vous
haïssent » (v. 27). Cela montre que l’attitude évangélique devant un
adversaire n’est pas un sentimentalisme désincarné, mais il s’agit d’une chose
qui se réalise à travers des gestes concrets d’assistance et d’aide,
recherchant le bien de l’autre. Ce comportement surprenant se manifeste à
travers le fait de « bénir » (eulogein) l’ennemi qui me
maudit, qui « dit du mal » de moi. L’invitation à prier pour les
ennemis nous fait voir que l’amour ne
doit pas être le résultat de stratégies et tactiques habiles, d’une
bonne éducation ou de l’opportunisme, mais il repose sur une prière profonde et féconde qui conduit à la
conversion du cœur. Qui ne prie pas
pour son adversaire ou son ennemi ne pourra par la suite ni le bénir ni
l’aimer. Le modèle de l’homme qui prie pour les propres ennemis est Jésus sur
la croix, lequel dit dans l’évangile de Luc : « Père,
pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34).
L’évangile offre trois exemples concrets
de cet amour illimité et profond : « la gifle », « le
manteau » et le « prêt ». Ces trois exemple nous aident à
comprendre comment on doit vivre concrètement et quotidiennement l’amour envers
les ennemis. Devant les actes les plus agressifs et injustes le chrétien ne
devra jamais réagir avec violence, encore moins renoncer à la logique de la
donation gratuite et illimitée envers toute personne. Jésus ajoute, enfin, une
dernière caractéristique de cet amour. L’on ne saurait se limiter au seul
entourage de « ceux qui nous aiment » ; cette logique, selon
lui, est celle « des pécheurs », eux aussi « aiment ceux qui les
aiment » s’appuyant ainsi sur la logique de l’échange : donner pour
recevoir (vv 32-34). Qui agit ainsi est apparemment généreux, mais en réalité
il n’est digne d’aucun mérite car il fait tout cela pour son propre intérêt.
Le v. 35 est un résumé de tous les thèmes
antérieurs à travers une belle synthèse qui serait la définition de l’être
chrétien : « Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et
prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande et vous
serez les fils du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les
méchants ». A cela nous pouvons ajouter le second principe fondamental :
« être compatissants comme votre Père est compatissant » (v.
36). Le modèle de notre amour est donc illimité : l’amour de Dieu. C’est
seulement à travers cette « imitation » de Dieu que nous pouvons
redevenir ses fils (v. 35 : « vous serez les fils du Très-Haut »).
Selon Luc l’amour miséricordieux, selon l’image du Père, est le principe
unificateur de toute l’existence chrétienne. L’affirmation de Dieu comme
« un Dieu clément et miséricordieux », lent à la colère, fidèle et
plein d’amour constitue la partie fondamentale du credo biblique (Ex 34,6). Le
disciple de Jésus assume cette même condition divine quand il manifeste, comme
Dieu, la compassion et la tendresse ;
quand il exprime la fidélité et un amour efficace envers les autres.
Le texte se conclut avec deux exhortations
de Jésus, lesquelles expriment l’attitude miséricordieuse que doit avoir tout
chrétien. La première est : « Ne jugez pas… ne condamnez pas ».
L’interdit de Jésus ici ne concerne pas le discernement sur ce qui est bon et
ce qui mauvais, mais est surtout question de la tendance à critiquer et à
condamner les autres ; ce phénomène manifeste la supériorité de celui qui
juge à l’égard de celui qui est jugé. Mais ce n’est pas tout. Juger et
condamner est une façon de se mettre à la place de Dieu, or lui seul connaît
les cœurs, pendant que l’homme se limite aux seules apparences (1 Sam 16,7). La
seconde exhortation est : « remettez, et il vous sera remis ».
La première partie à coloration négative est maintenant complétée par une seconde
plutôt positive : le pardon chrétien, illimité et riche de miséricorde,
lequel renvoi à une autre invitation de Jésus : « si ton frère vient
à pécher, réprimande-le et, s’il se repent, remets-lui. Et si sept fois le jour
il pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi, en disant : ‘Je me
repens’, tu lui remettras » (Lc 17,3-4).
Pour souligner l’importance décisive
de cette manière d’être, Jésus fait appel au moment eschatologique, quand nous
devrons tous comparaître devant Dieu. Pour ne pas être ni jugé ni condamné,
pour bénéficier de la miséricorde, le secret est d’user de la même mesure
envers les autres. Autrement dit, la seule possibilité qui permet à l’homme
d’éviter la condamnation et un accueil miséricordieux de la part de Dieu est de s’abstenir de juger et condamner son
frère et lui pardonner toujours ses manquements. Le destin du disciple de Jésus
se configure chaque jour sur la base de la miséricorde. « Au soir de
notre vie nous serons jugés sur l’amour » ( cf. Saint Jean de la
Croix).